Avant même que le nom de Saint-Victor soit attribué au territoire de la commune, toute une population vivait autour des chapelles de Saint-Martin et de Mayran. Un document de l’année 896 cite des terres, des vignes, des cours d’eau et surtout des “familiers”, c’est-à-dire des hommes attachés à la terre. Ce sont les premiers habitants dont il soit question dans des documents.
Les fouilles effectuées à Mayran sous la direction de Loïc Buffat montrent la présence, à l’emplacement d’une ancienne villa romaine, d’un habitat et de silos à grains médiévaux. Une nécropole médiévale a aussi été découverte à proximité de la chapelle.
Des années plus tard, la puissante famille des Sabran, sénéchaux du comte de Toulouse, domine la région. En 1203, il est question du château de Saint-Victor dans un acte de Rostaing de Sabran, mais le donjon qui abrite la chapelle est sans doute plus ancien (peut-être du XIIème siècle). La partie inférieure de ce donjon serait alors la première église de Saint-Victor.
Trois rangs de murailles enserrent la colline : dès l’époque des Sabran, on peut penser qu’une partie de la population de Saint-Martin et de Mayran avait commencé de se rassembler près du château, sous la protection militaire du seigneur.
Un registre a été conservé, qui rassemble toutes les transactions passées entre les habitants et le seigneur.
Sur le plan politique, le seigneur autorisait les habitants à nommer des représentants (du latin probi homines signifiant prud’hommes) pour venir discuter avec lui ou avec ses représentants de sujets précis qui faisaient problème. Les discussions se terminaient souvent par un accord, une transaction.
Depuis 1248 jusqu’à 1509, il y a eu au moins une transaction par siècle. D’autres ont eu lieu après, qui ne font pas partie du registre.
En 1248, face à Rostaing de Sabran, qui est en grande difficulté car il a pris le parti du comte de Toulouse contre le roi, les “hommes de l’université” de Saint-Victor (c’est ainsi qu’on les appelle) acquièrent un droit de pâture et de défrichement, à condition de payer deux redevances : une cense annuelle en argent de 4,5 livres et une tasque d’1/9 sur les récoltes.
L’année suivante (1249), les principales défenses du Castellas seront détruites par ordre du roi.
En 1328, les “hommes de l’université” nomment des “prud’hommes” pour rencontrer le viguier, représentant du seigneur, car certains habitants détruisent les pâturages et les bois. On délimite un “séquestre” strictement contrôlé.
Après la grande peste de 1348, naissent “plusieurs défenses, controverses, rancunes et matières de questions”. En 1355, les habitants prétendent qu’ils ont usé des “écosses et autres obédiments” de la Montagne depuis assez longtemps pour faire prescription. Le seigneur s’en tient à la transaction de 1248, car celle de 1328 a été prise par une personne n’ayant pas de pouvoir suffisant.
Par transaction, on s’accorde sur le fait “que la discorde est pleine de dangers, qu’elle dépasse même les choses honnêtes et que non seulement elle est rendue odieuse aux yeux de la divine majesté, mais encore parmi les voisins et les compatriotes”. Ce constat, sans doute inspiré par un prêtre, nous rappelle que la peste, considérée comme une vengeance divine, est passée par là. On décide donc de transiger. Soixante-sept habitants “assemblés de la manière due et accoutumée” se réunissent sur la place en présence du baile. Ils forment “la plus grande et plus saine partie de la dite université”, regroupant les 2/3 des chefs de maison. Le baile, “assis dans la dite place à la coutume des anciens” autorise les habitants à nommer des “syndics et procureurs” pour discuter avec le seigneur. Toutes ces mentions montrent que la vie collective des habitants est organisée depuis longtemps, sous la surveillance des hommes du seigneur. Les cinq habitants nommés sont un prêtre, deux petits nobles de l’entourage du seigneur, et deux habitants plus modestes appartenant à des familles qui habiteront longtemps le village : un Monier et un Buon. La transaction qui résulte de cette assemblée précise que les habitants pourront jouir des herbages et des bois et faire des séquestres, le seigneur fera respecter les règlements et percevra la moitié des amendes, il défendra la communauté à ses frais, la cense reste de 4,5 livres et la tasque de 1/9. Coût pour la communauté : 230 livres.
C’est sans doute à cette époque que, pour se protéger des guerres incessantes, les habitants font construire la muraille communale qui existe encore.
En 1337, quinze habitants avaient reçu des terres dans la Montagne pour une redevance de 8 saumées de grain (1280 kg). Mais la peste et la guerre sont passées par là. La plupart des tenanciers sont sans descendants, les terres “infertiles et en la puissance des animaux”. Pour encourager la reconquête, la tasque est abaissée à 1/18, mais la cense est porté à 5 livres et la transaction coûte 50 F or.
1509. Nouveau désaccord, portant sur les limites de la Montagne, le seigneur prétend en soustraire les garrigues de Darbousset et Las Ferrières. Trente-six habitants, forment les “procureurs et autres bonshommes, manants et habitants” de Saint-Victor. Il est décidé que Darbousset et Las Ferrières font partie de la Montagne, les habitants paieront la cense de 5 livres et la tasque de 1/18, ils pourront faire un séquestre des herbages, bois, pierres, sans autorisation, le seigneur encaissera toutes les amendes, mais il ne pourra pas confisquer les animaux, il observera les règles “comme un du peuple”. Pas de compensation monétaire.
La signature de la transaction de 1509 a en lieu dans la grand’salle contigüe à la chapelle.
On peut dresser un tableau synthétique des transactions, y compris celles postérieures à 1509 pour lesquelles c'est maintenant le seigneur qui doit payer une somme aux habitants.
L’organisation des habitants échappe peu à peu au seigneur. En 1550, quarante-sept habitants édictent les statuts municipaux qui règlementent la Montagne, hors de la présence du seigneur. A cette occasion apparaît le mot de “communauté”. Elle est dirigée “de toute ancienneté” par deux “syndics et procureurs” nommés pour un an à la Saint Michel. Quelques années plus tard, en 1556, on les appellera “consuls”.
Au même moment, l’administration royale resserre son emprise sur les communautés. La Recherche de 1550 est la première enquête pré-statistique portant sur l’ensemble des communautés du Languedoc. Son but est d’établir un compoix (du latin cum peses, peser avec) diocésain qui permette d’imposer chaque communauté proportionnellement à ses facultés contributives. Les consuls deviennent des agents du fisc royal chargés de faire rentrer l’impôt.
Les communautés sont amenées à s’organiser pour répartir de façon équitable la perception de l’impôt. Elles dressent des compoix qui sont des cadastres sans plan, comme, par exemple, le compoix communal de 1589. Le seigneur lui-même devait payer l’impôt pour les terres rurales qu’il possédait, mais il ne payait pas d’impôt sur ses terres nobles.
Les terres et maisons de chaque contribuable étaient évaluées de manière à le faire contribuer à l’impôt proportionnellement à la valeur de ses biens.
A partir du XVIIème siècle, on a conservé les délibérations de la communauté. Dans le document suivant, en 1667, il s’agit de nommer les nouveaux consuls qui exerceront pendant un an. Cinquante-huit habitants sont présents à cette assemblée, en plus des consuls sortants. On a ainsi la liste des habitants. Beaucoup de noms de familles perdureront jusqu’au XXème siècle.
Dans une autre délibération, de 1654, en vue de faire exempter Saint-Victor du logement des troupes royales, le logement des troupes étant une autre tâche pénible que devait accomplir la communauté pour le roi.
Encore une autre activité de la communauté : la construction de la nouvelle église, qui sera consacrée en 1700.
Le Conseil communal se réunissait au rez-de-chaussée de la tour médiévale sur laquelle avait été construit le clocher de l’église.
Les coupes de bois sont l’une des grandes ressources de la communauté, objet d’une organisation rigoureuse : dix coupes sont délimitées, mises aux enchères tous les deux ans, soit un cycle de 20 années. Les bénéfices servent à payer une partie des impositions.
Progressivement, la communauté devient un rouage du pouvoir royal, tandis que le nombre des impôts s’accroît. On peut compter, sur une “mande” de 1745, sept impôts différents que la communauté devait payer proportionnellement aux biens de ses habitants, sans compter les frais de perception, et les impositions locales. Et encore, il manque la capitation, impôt par tête qui était perçu à part.
Le diagramme, qui porte sur l’ensemble du Languedoc, montre comment de nouvelles impositions se sont peu à peu empilées, faisant croître continuellement le prélèvement royal, jusqu’à la veille de la Révolution.
La communauté des habitants existe comme telle depuis au moins 800 ans, mais sa représentation a connu des formes institutionnelles diverses. Suscitée au début par le seigneur qui a besoin d’un interlocuteur pour régler les conflits qui naissent de la domination qu’il exerce sur les « manants et habitants », elle devient progressivement, avec le consulat, un rouage du pouvoir royal tout en conservant une certaine autonomie de gestion, avant de donner naissance à la municipalité actuelle.
Durant la Révolution, le Directoire du district d’Uzès demande aux municipalités de dresser l’état de toutes les productions agricoles et artisanales du village, dans le but évident de fixer les prélèvements qui pourraient être faits. En marge du document, quelqu'un a écrit a écrit en marge : “non exécuté”.
Nous nous arrêterons sur cette preuve de la capacité de résistance de la commune de Saint-Victor, en ce temps comme en d’autres, aux demandes toujours suspectes des autorités…